Article paru dans Le Matricule des Anges
Numéro 23 de juin-juillet 1998
De Pythéas à Guédiguian
Une histoire marseillaise : Olivier Boura fait tenir les 2600 ans de la ville en vingt-sept chapitres (courts). Invitation à une déambulation littéraire.
Au IVe siècle de notre ère, le marin massaliote Pythéas fut chargé d'ouvrir une voie maritime vers le nord, pour chercher de l'étain. Il quitta la Méditerranée, remonta les côtes du Portugal, parvint ainsi probablement jusqu'en Norvège. Il écrivit un livre que l'histoire a égaré dans les plis de ses années. Sans doute y était-il question de l'étrange phénomène des marées; de la dérive des blocs de glace. D'un incroyable soleil qui brille nuit et jour. Lorsque Pythéas et ses marins sont revenus à Massalia, nul n'a dû les croire. Il est même probable que sur les bords du Rhône, on se soit ouvertement moqué d'eux.
Si Olivier Boura, l'auteur de Marseille ou la mauvaise réputation consacre un chapitre à cette aventure, c'est qu'il est tentant, à travers ce récit, de voir une sorte de malentendu originel, les prémisses d'un différend que chacun trouvera à son goût : le Marseillais épice son discours et l'auditeur en exagère les excès. Mais voilà que nous avons déjà renoncé à l'analyse, séduit par l'anecdote. Tout livre sur Marseille se coltine un sacré paradoxe : défaire la rumeur, la légende, qui font définitivement de Marseille une ville à part, tout en justifiant sa place à part, et ainsi par delà, la rumeur. Bref, démythifier l'objet mais sans le rendre terne; mettre à jour l'éclat sous les éclats surfaits. Car voilà une ville "mal fichue, ruinée, mal famée" et qui par ailleurs, est seule avec Paris à présenter en France "une personnalité qui domine toutes les autres".
Olivier Boura au travers de chapitres conçus comme autant d'incartades désordonnées dans des champs divers de la connaissance, exhibe pas mal des coutures de la panoplie. De la politique d'intégration à l'accent de Fernandel, de Carbone et de Spirito aux écrivains marseillais, l'écriture tire avec bonheur l'essai vers la déambulation érudite, le plaisir de dire, de humer, de savoir. Plus qu'une thèse habilement soutenue, le livre condense de belles vérités qui émouvront quiconque a de la tendresse pour cette ville. Ainsi cette aptitude de Marseille à ne rien rejeter hors de ses limites : villages, cités, ghettos tiennent entre les mêmes murs. La prison de Marseille, Les Baumettes, se situe bien à Marseille : "Les Marseillais qu'on enferme là sont chez eux, encore un peu". C'est que la ville refoulerait moins, au sens psychanalytique du terme : d'où ses excès, sa violence, sa spontanéité; ses plaisirs simples, comme le pastis : "Pas question, ici, de grand cru, de première côte, de millésime, ni même de label, rouge ou noir. Sa pente naturelle le porte au diminutif vulgaire -pastaga-, quand ce n'est pas tout simplement le jaune".
Nous en venons ainsi au verbe, au commencement et à la fin de toute histoire marseillaise. Il faudrait peut-être s'interroger sur la propension des Marseillais à mettre la main à la plume pour leur ville. Leur première particularité serait-elle leur désir exacerbé d'en parler? L'ouvrage d'Olivier Boura, originaire de la cité phocéenne et professeur d'histoire se présente comme la confession d'un amour lucide; empli d'un charme méfiant, deux pas en retrait, une vigilance encore dans l'oeil de celui qui a côtoyé la bête.
Christophe Fourvel