Pourquoi, j'ai jeté ma grand-mère dans le Vieux-Port ?


    L'un de nos plus grands auteurs de théâtre, Serge Valletti, est joué à Chaillot à travers... un texte non théâtral. Valletti croyait qu'au moins une fois il avait fait de la littérature. Un acteur qui n'est pas des moindres, Marc Betton, surtout connu à l'intérieur de la troupe de Lavaudant, a adapté, mis en scène et joue « Pourquoi j'ai jeté ma grand-mère dans le Vieux Port » (du 5 mai au 3 juin). Il prouve ainsi que, même dans le roman, notre auteur a une langue de théâtre. Ce texte est un déroulé de faux et vrais souvenirs sur une enfance à Marseille. La grand-mère jetée dans le port, dont parle le titre, est, en réalité, rendue à la mer sous forme de cendres, après sa crémation : c'est la fin d'une femme qui avait vécu pauvrement et ne voulait pas laisser d'autres traces qu'affectives. Mais l'art de Valletti est à l'opposé de ce résumé. Il cache l'émotion et a l'air de rire de tout.

    C'est que, pour notre auteur, dès qu'il ouvre une porte ou une histoire, une série de conséquences ou de démonstrations absurdes surgit. L'on est pris alors dans le vertige de la tchatche, tandis que les personnages dérapent d'une idée à l'autre ou d'un malheur à un autre. Avec Valletti, l'on est toujours en compagnie d'une bande de cinglés qu'on trouve beaucoup plus intéressants que les gens intelligents. Sans doute parce qu'ils se prennent les pieds là où on a envie de rire d'eux, tout en s'avouant que ce sont nos frères pas chanceux. S'il y a des auteurs qui écrivent en boucle, Valletti écrit, lui, en pelote : tous les fils mènent à de douces histoires de fous ou de balourds selon un tracé embrouillé dont les nœuds sont toujours des plaisirs de langage. Rappelons quelques autres titres de Valletti, parus chez Bourgois : Le jour se lève, Léopold, Carton plein, Saint-Evlis, Six solos... Bien que cela ne se sache pas assez, il est notre premier auteur de comédies.

par Gilles Costaz