Le jeu de boules

(d'après le "Dictionnaire de la Provence et de la Côte d'Azur" de Jacques Marseille)


    On joue "aux boules" probablement depuis la nuit des temps. En atteste cette stèle de Çatal Höyük, en Turquie, qui montre, neuf mille ans avant notre ère, des hommes jouant avec des pierres rondes - d'un diamètre inférieur à nous "intégrales" actuelles - comme on peut en trouver au bord de la mer ou dans le lit des rivières. Quand on est en possession d'un pareil projectile, le geste vient naturellement à l'homme de vouloir viser avec cette sphère qui épouse la paume de sa main un autre galet, pour faire un carreau. Au jeu de boules, le "tireur" à dû naître spontanément d'un réflexe humain universel, avant le "pointeur" qui demande une technique plus réfléchie, moins spectaculaire, sans doute, mais plus intellectuelle.

    En quelle langue le premier humain proposa-t-il à un congénère : "Chiche que j'attrape cette pierre ronde, là-bas"?

    Le jeu de boules était né.

    Dans une dizaine de tombes d'enfants égyptiens du VIIème millénaire, des boules de porphyre figurent à côté d'autres jouets accompagnant le jeune défunt dans sa traversée de l'au-delà. Fresques et papyrus portent en décoration des jeux de balles ou de boules pratiqués par des jeunes filles qui lancent des pierres rondes ou des fruits.

    Les grecs s'y adonnèrent avec entrain, comme le rapporte au IIème siècle Julius Polux, en parlant du "jeu du porteur" ou éphédrisme, qui consistait à lancer des galets ronds sur une pierre plate placée à une distance prévue par la règle du jeu. Le perdant devait porter son vainqueur( qui lui cachait la vue de ses mains) sur ses épaules jusqu'à ladite pierre.

    Bois, fruit séchées, peaux de chèvres bourrées de crin, tout fut bon au cours des millénaires pour jouer "à la boule" sans qu'on distingue encore vraiment ce qui relevait de la future pétanque et qui annonçait le futur football.

    Certains pensent que le jeu de boules, ancêtre du nôtre, aurait été importé de Grèce, via Rhodes, par les marins phocéens qui en 600 av. J.-C., fondèrent Massalia, devenue Marseille. De là, il aurait remonté la vallée du Rhône et commencé sa pacifique conquête.

    Des pierres, on allait passer à la boule en bois plus ou moins cloutée et du jeu de paysan du XIIIème au jeu aristocratique du XVIIIème siècle. Le premier suscita un tel engouement dans le peuple que les rois d'Anjou qui régnèrent sur la Provence en vinrent à le faire interdire sans jamais pouvoir l'éradiquer des pratiques populaires. Quand au second, les jeux de quilles, boules et paumes eurent beau être déclarés pernicieux moralement et économiquement (car les parties dites "intéressées", celles qui suscitent des mises d'argent, ont dû naître avec le jeu), ils conquirent toutes les classes aisées, aristocrates et bourgeois confondus. A Versailles, le Roi-Soleil n'avait pas été le dernier à "lancer la boule", qu'on lui présentait dans un joli panier d'osier pour épargner la royale échine!

    On jouait déjà partout, dans les rues, sur les places, le long des lices qui flanquait les remparts.

    Si la Révolution abolit les privilèges, elle ne supprime pas les interdits. Qu'importe : le jeu de boules connut une ferveur populaire sans précédent. On jouait alors avec tout ce qui peut ressembler à un projectile sphérique tenant dans la paume de la main. Les petits boulets semblaient avoir été créés pour cela. Jusqu'à la mémorables partie qui, à Marseille, le 29 avril 1792, sous les voûtes du couvent des Recollets, transformés en poudrière et en réserve à canon, provoqua une véritable catastrophe. Quelques membres du club des Amis de la Constitution, entre deux séances, avaient entamé une partie de boules avec des petits boulets entreposés dans la réserve. On jouait à même les pavés ronds du cloître. En fusant lors d'un tir, un boulet produisit une gerbe d'étincelles sur le sol recouvert de poudre à canon éparpillée par les manipulations. Le feu prit et se communiqua aux tonneaux empilés dans la réserve; ceux-ci sautèrent avec un bel ensemble, et la majeure partie des bâtiments conventuels s'effondrèrent sur leurs occupants. A l'heure du bilan, on dénombra trente-huit morts et d'innombrables blessés. (au sujet de cette anecdote lire "Ca c'est passé à Marseille (Tome 1)")

    Par bonheur, la conquête mondiale de ce jeu se déroula en général plus pacifiquement. Il n'empêche que l'épidémie aura touché tous les continents, toutes les peuplades, quelles que soient leur couleur de peau et leur religion.

    Si l'on devait établir une hiérarchie familiale dans le jeu de boules modernes, il faut réserver la place de l'aînée à la boule lyonnaise, que les légions de César apportèrent probablement dans leur giberne à Lugdunum. Elle aura permis de cadrer les règles essentielles (dimensions des boules, des terrains, place et rôle des joueurs, concours) et de mettre en place les clubs, les sociétés et les fédérations.

    Tout en se démarquant par leurs spécificités, le jeu provençal (la longue) et la pétanque sont inspirées de l'exemple lyonnais pour réglementer un jeu populaire et en faire un sport de compétition.

    Il n'empêche que c'est la pétanque qui aura connu la plus forte expansion depuis sa création en 1910*, sans doute parce qu'elle ne se monte pas du col et ne se prend pour un sport que lors des compétitions officielles. Habituellement, elle peut être jouée n'importe où et par n'importe qui, si l'on a pas la prétention de briller dans un concours officiel, réservé aux joueurs de haute volée. On peut "s'amuser" avec la pétanque, jeu avant tout convivial, à l'inverse de tout autre sport supposant préparation, concentration et entraînement intensif. C'est sans doute là que se trouve la raison de sa popularité sans pareille.

    Il suffit d'avoir à sa disposition un terrain plus ou moins plat d'une vingtaine de mètres de long sur trois ou quatre de large pour que le bonheur soit à portée de main. Chaque joueur dispose de deux boules. On joue en tête-à-tête, à deux contre deux, ou plus, l'essentiel étant qu'on trouve le même nombre de joueur dans chaque camp. Encore qu'un joueur suffisamment sûr de lui, muni de quatre boules, puisse "faire les mains" contre deux adversaires à deux boules chacun. Les boules réglementaires pèsent entre 600 et 800 grammes pour un diamètre de 7 à 8 centimètres. La partie se joue en 13 points. On trace un rond à terre de 35 à 50 centimètres où, tour à tour, pointeur et tireur se placeront pour lancer leur boule. On envoie le bouchon (en buis) à une distance de six à dix mètres et le premier pointeur lance sa boule pour l'approcher le plus possible du bouchon. Le pointeur de l'équipe adverse joue à son tour. Le point est à l'équipe qui a la boule la plus proche du bouchon. Mais, entre-temps, le tireur de chaque équipe, jouant à son tour, peut chasser les boules adverses par un palet (la boule frappe l'adversaire et reste à sa place), par un tir "au fer" qui éloigne la boule adverse, ou à la "rafle" (pas très élégant) en prenant la boule adverse au passage.

    Quoi de plus simple que ce jeu qui met le paradis à portée du premier venu? Et faudrait-il s'étonner que la pétanque soit le jeu qui compte le plus grand nombre de pratiquants au monde?

    Il ne faut pas confondre la pétanque et la "longue", qui se joue sur un terrain plus vaste, de 15 à 21 mètres. Le jeu provençal (c'est son nom officiel) exige du pointeur qu'il se tienne sur une jambe lors de son lancer et du tireur un véritable exploit, car il doit armer son tir au moment où il est à l'apogée de son troisième saut et avant d'avoir retouché terre. pour bien jouer, il faut absolument être entraîné comme un sportif de haut niveau.

 

    La première association de boules fut créée en 1928 à Marseille (le cercle des boulomanes). Naissance dans la région de Lyon de la "Lyonnaise" qui devint sport en 1850 avec la création de la première société officielle "le Clos Jouve". En 1906 est fondée la Fédération Lyonnaise et Régionale, puis en 1933 la Fédération Nationale des Boules qui deviendra Fédération Française en 1942. Au XIXème  siècle, tandis que roulent les boules Lyonnaises, les Méridionaux se passionnent pour la "longue" ou "Jeu Provencal" qui exige les mêmes qualités mais où les règles sont simplifiées et la choix du terrain est "libre". C'est ce jeu Provençal qui donnera naissance à la référence: la pétanque. En 1927, elle fut codifiée et c'est en 1945 que naquit la FFPJP.

Fédération Française de Pétanque et de Jeu Provençal (FFPJP, 13, rue Trigance - 13002 MARSEILLE ):

Crée le 16 janvier 1945 à Marseille par les présidents et représentants des comités boulistes des Alpes de Hautes Provence, des Bouches du Rhône, du Gard, du Var et du Vaucluse. Elle compte environ 500 000 licenciés répartis dans 7600 clubs, 106 comités départementaux et 21 ligues régionales, ce qui en fait la 4ème fédération sportive de France. Tous les ans, la FFPJP organise 12 championnat de France, 10 à pétanque et 2 au jeu provençal. Elle a également instauré trois challenges des As en triplettes: à pétanque (64 équipes), au jeu provençal (16 équipes) et pour les féminines (16 équipes).

Parmi les dernières innovations, l'informatisation et l'ouverture médiatique. Mais tout cela reste bien timide !

* : C'est à La Ciotat qu'a été enregistré "l'acte de naissance" de la pétanque quand Le Petit Provençal du 7 juin 1910 révéla que l'ancien champion de "longue" (jeu de boules provençal) Jules Le Noir, affligé de rhumatismes lui interdisant désormais les trois pas réglementaires qui, à partir du rond tracé au sol, accompagnent le tir, proposa à son équipier de toujours, Ernest Pitiot : "Et si on jouait à pèd-tanco?", c'est à dire les deux pieds immobiles dans le rond et à une distance de 6 à 10 mètres.


A lire :     Il était une fois... les boules de Jean Ferrara

                   Il était une fois Le Mondial La Marseillaise à Pétanque de Pierre Echinard

                   Les mots du jeu de boules en Provences de Claude Martel